Presqu’un an après la présidentielle du 22 février 2020 dans un climat de vive tension, le contentieux électoral n’est toujours pas soldé au Togo. Le principal candidat de l’opposition Agbéyomé Kodjo continue de contester la réélection du président sortant Faure Gnassingbé.
Cela fait onze longs mois qu’Agbéyomé Kodjo se bat, sans relâche, pour faire reconnaître sa victoire acquise dans les urnes. Tandis qu’à Lomé, le pouvoir semble avoir tourné définitivement la page du contentieux électoral même si celui-ci n’a jamais été réglé. Le 4 mai 2020 lors de la cérémonie d’investiture de Faure Gnassingbé pour son quatrième mandat, le président de la Cour constitutionnelle avait d’ailleurs prévenu et mis en garde l’opposition contre « toute contestation de sa légitimité » (sic !). Une fermeté qui dénote de la détermination du régime à ne pas lâcher, du reste, du lest. Cette menace est assez révélatrice de toutes les contorsions auxquelles il s’est livré pour proclamer des résultats qui défient le bon sens notamment des écarts entre les chiffres de son institution et ceux de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) qui ont connu des augmentations étonnantes pour justifier une victoire improbable : nombre d’inscrits + 124.730, nombre de votants +580.703, suffrages exprimés +192. 681, bulletins nuls + 963.113. Sans oublier que la somme des suffrages distribués aux candidats dépasse 100%. Il n’y a que par la violence qu’on peut imposer une telle forfaiture.
Or pour l’opposant Agbéyomé Kodjo et les Patriotes togolais, la victoire leur a été volée. Tous avaient cru au soir du 22 février 2020 avoir remporté démocratiquement le scrutin présidentiel après le dépouillement et les résultats communiqués par les délégués dans les 9 389 bureaux de vote créditant « une large et écrasante victoire » du candidat de la Dynamique Monseigneur Kpodzro (DMK) sur le président sortant Faure Gnassingbé et les cinq autres candidats en lice, comme ses concurrents le confirment.
L’ancien Premier ministre de feu Gnassingbé Eyadema (31 août 2000 au 29 juin 2002) se souvient comme si c’était hier de sa victoire de courte durée annoncée dans la foulée par plusieurs médias nationaux et étrangers avant que sa joie ne se transforme en un cauchemar.
Le vendredi 24 janvier dernier à l’occasion d’une vidéo conférence qui a réuni une dizaine de journalistes de médias panafricains basés à Abidjan, Dakar, Yaoundé et Paris, triés sur le volet, l’opposant togolais est revenu sur les quelques faits saillants qui attestent sa « victoire incontestable » saluée par la plupart des forces politiques et organisations de la société civile togolaise comme l’attestent leurs communiqués publiés, et les circonstances qui ont conduit à la crise post-électorale togolaise.
« Après la fermeture des bureaux de vote à 16 heures, les résultats ont commencé à tomber à 20 heures. Plusieurs chaînes de radio au niveau local et international commençaient par annoncer la victoire d’Agbéyomé Kodjo. Une demi-heure après, ma maison fut encerclée par les forces de défense et de sécurité avec des engins lourds. Idem chez Monseigneur Kpodzro, archevêque émérite de Lomé pour la simple raison que c’est le Mouvement citoyen (Dynamique Monseigneur Kpodzro, DMK) qu’il a créé qui a porté ma candidature, et que lui-même s’est personnellement investi dans ma campagne en parcourant tout le pays avec moi, jeune de ses 90 ans. Le but de cet état de siège imposé à nous deux était destiné à empêcher nos partisans de venir célébrer l’alternance chez moi et chez le Doyen du Corps épiscopal », relate-t-il avec amertume.
« Le 23 février au matin, les résultats que nous avons collectés des 9 389 bureaux de vote communiqués par nos représentants au téléphone ou par SMS, nous étions, selon les projections, entre 59 et 61 %. Le même jour, nous avons animé une conférence de presse pour annoncer que nous avons gagné l’élection présidentielle. Aussitôt, les félicitations ont commencé à fuser de partout, » se souvient l’opposant.
« Le pouvoir en face pour conjurer sa défaite, a proclamé dans la précipitation les résultats officiels sans disposer de la matérialité des procès-verbaux, sans certification des résultats par les représentants des candidats comme l’exige la loi. Ce qui a provoqué de la consternation dans tout le pays parce qu’il était matériellement impossible de collecter les 9389 procès-verbaux, les compiler, dégager les résultats, organiser la plénière de validation et proclamer les résultats provisoires officiels en moins d’une journée, alors que le législateur prévoit six jours et que dans l’histoire électorale du pays, aucun résultat n’a jamais été proclamé avec autant de rapidité et de précipitation », proteste-t-il.
Selon les explications du conférencier, la loi électorale accorde six jours à la Ceni pour proclamer les résultats officiels. Or matériellement, le Togo ne dispose pas sur toute l’étendue du territoire d’infrastructures appropriées pour acheminer tous les PV émanant de tous les bureaux de vote en moins de 24 heures. La même loi électorale fait obligation à la Ceni de disposer de la matérialité de tous les PV avant toute publication officielle des résultats. Dans le cas d’espèce, aucune de ces dispositions n’a été respectée afin de donner un caractère crédible, transparent et démocratique à l’élection présidentielle. « C’est un crime contre la volonté populaire », lance Agbéyomé Kodjo.
Le conférencier a eu aussi des mots durs à l’égard des observateurs extérieurs sensés surveiller le bon déroulement du scrutin. « Ces gens corrompus obéissent aux désiderata des dictateurs », accuse-t-il. Il invite l’Union Africaine et la CEDEAO à revoir l’organisation de leurs missions d’observation des élections sur le Continent pour prévenir les crises post-électorales.
A Lomé, la proclamation des résultats dans les conditions décriées en violation de la loi électorale a suscité de vives réactions nationales et internationales. Aux dires du conférencier, le département d’État américain a adressé un communiqué invitant le gouvernement togolais à « proclamer les résultats bureau de vote après bureau de vote » pour que toute la lumière soit faite sur le verdict des urnes. Le pouvoir de Lomé n’aurait pas répondu favorablement à l’injonction de Washington. Le G5 en l’occurrence le groupe des ambassadeurs de France, Allemagne, USA, UE et système des Nations Unies en poste à Lomé auraient exigé à leur tour la production des PV pour justifier la victoire du camp du pouvoir. Le gouvernement aurait affiché le même mutisme déconcertant. Même attitude face à la lettre de la conférence épiscopale signée par tous les évêques du Togo demandant au gouvernement de rétablir la vérité des urnes.
Acculé par la communauté internationale et les mouvements de contestation en interne et la diaspora, le régime n’a eu pour autre choix que de négocier avec le réel vainqueur pour qu’il reconnaisse sa victoire apocryphe contre un poste de Premier ministre avec des pouvoirs élargis et l’élargissement de son périmètre financier. Devant l’impasse de toutes ces tentatives y compris celle de l’Église catholique, la seule solution à laquelle il s’est résolu est celle d’une violence inouïe jamais observée au Togo en matière électorale pour un passage en force.
« Celui qui a gagné ne va pas négocier avec le vaincu pour se donner une légitimité qu’il n’a pas obtenue dans les urnes », peste Agbéyomé Kodjo. Les 20 et 21 avril 2020, le quartier de résidence d’Agbéyomé Kodjo fut transformé en un champ de guerre où opéraient plusieurs chars, des blindés, des hélicoptères, des drones et plusieurs centaines de soldats. Le 21 avril la résidence fut prise d’assaut par des unités d’élite de l’armée qui y ont tout saccagé, molesté la maisonnée, sa femme et ses enfants molestés menottés, le prélat présent pour servir de bouclier humain frappé et conduit manu militari à son domicile tandis que son assistant personnel, Marc Mondji et des cadres de la DMK ont été mis aux arrêts. Agbéyomé Kodjo enlevé alors qu’il était souffrant et conduit à la gendarmerie nationale pour des futilités afin de taire la revendication de la victoire du peuple, sans oublier 16 jeunes Patriotes jetés en prison pendant 4 mois au terme d’un jugement expéditif sans défense. Fulbert Attisso et Brigitte Kafui Adjamagbo-Johnson, respectivement coordinateur national et Porte-parole de la DMK seront interrogés de façon musclée par la Gendarmerie. L’archevêque Emérite de Lomé connut le même sort.
Agbéyomé Kodjo arrêté et détenu arbitrairement à la gendarmerie dans des conditions jugées inhumaines pendant quatre jours fut présenté avec Marc Mondji, Fulbert Attisso et Brigitte Kafui Adjamagbo-Johnson à la justice. « J’ai été conduit par la suite chez le doyen des juges d’instruction qui m’a mis en garde de même que mon staff de campagne que si nous réclamons encore notre victoire nous irons sans autre forme de procès en prison. »
Au décours de coup de force militaire survint l’assassinat du Colonel Toussaint Bitala Madjoulba, commandant du premier bataillon d’intervention rapide (BIR) égorgé dans son bureau dans le camp le plus sécurisé du Togo le 4 mai 2020. Meurtre à ce jour non élucidé.
Devant cet énième coup de force électoral, militaire et judiciaire, le Togo est confronté à une impasse politique avec un bicéphalisme au sommet de l’Etat caractérisé par le Gouvernement légitime et démocratique en exil d’Agbéyomé Kodjo, et celui illégitime et de fait du président sortant Faure Gnassingbé. Les manifestations de contestation de l’opposition contre le quatrième mandat de Faure Gnassingbé sont interdites et réprimées dans le sang. Devant cette adversité, le régime répond par la violence sous toutes ses formes. Les organisations de défense des droits humains n’ont de cesse de déplorer la violation des libertés d’expression, du droit à manifester et des droits de l’homme. A cela, il faut ajouter les bavures policières qui ont fait de nombreuses victimes parmi la population civile.
Ces derniers temps, les arrestations dans les rangs de l’opposition attestent de la détermination du pouvoir à écraser toute contestation. Au mois de novembre de l’année dernière, Gerard Djossou, responsable des questions des droits de l’homme et affaires sociales de même que Mme Brigitte Kafui Adjamagbo-Johnson, coordinatrice nationale de la DMK avaient été arrêtés et détenus pendant trois semaines avant d’être libérés sous contrôle judiciaire, parce qu’ils projetaient d’organiser une marche de protestation pour exiger la vérité des urnes, la libération des prisonniers politiques et une meilleure gouvernance.
Depuis le début de l’année 2021, le pouvoir fait désormais face à des grèves lancées par plusieurs syndicats des enseignants ainsi que d’autres corps de métiers. Ces mouvements de contestation corporative viennent amplifier l’action de l’opposition. Le Togo n’est pas sorti de l’ornière et la crise post-électorale semble bien là !
Source: Clément Yao/L’Afrique Aujourd’hui