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Opposition togolaise : de l’introspection sur le « qui » vers le « quoi »

« Le chemin de l’enfer est pavé de bonnes intentions ». Adage du 18e siècle.

Nous avons certainement déjà tous vu cette image illustrant la difficulté du changement: à un groupe d’individus, disons 100, on demande « qui veut le changement ? » et l’on constate que tout le monde lève la main. Ensuite on demande au même groupe « qui veut œuvrer pour le changement ? » et l’on constate moins d’une vingtaine de mains levées. Enfin on demande toujours au groupe « qui veut changer pour que le changement ait lieu ?», mais là on constate une ou deux mains levées…sur 100.

C’est dire que tout le monde veut le changement. Mais c’est aussi reconnaitre que le plus dur dans le processus qui conduit au changement ce n’est ni la volonté, ni l’engagement ; c’est la capacité à se remettre en cause afin d’arriver au changement, et le faire aussi longtemps que l’on ne serait pas arrivé au changement voulu. Changer soi-même pour obtenir le changement est un exercice assez difficile dans la voie vers le changement. Et à mon avis, c’est un exercice que nous au sein de l’opposition togolaise avons le plus de mal à gérer. Changer nous-mêmes pour que le changement politique tant souhaité puisse avoir lieu revient à reconnaitre qu’on doit changer.


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L’opposition togolaise, il faut avoir le courage de le dire, est actuellement à l’image du pays lui-même, c’est-à-dire dans un abîme. Alors la question est la suivante : y a-t-il lieu de se remettre en cause ? Je dirais oui, puisque l’objectif n’est pas encore atteint. Qui au sein de l’opposition doit changer ? Nous tous. De quelle manière doit-on changer ? En faisant, chacun un examen de conscience, une remise en question de ce que nous faisons, en un mot en faisant notre introspection. Le dictionnaire en ligne définit l’introspection comme un concept philosophique qui désigne « l’examen fait par le sujet lui-même des phénomènes psychologiques qui se passent en lui ». En programmation informatique, l’introspection est la « capacité d’un programme à examiner son propre état ». Avons-nous jamais fait notre introspection ? Oui, dans une certaine mesure. Avons-nous jamais réussi cette introspection? Visiblement non, et c’est l’objet de la présente contribution au débat politique.

Les militants de l’opposition togolaise ont de tout temps fait leur introspection ; ils se sont maintes fois remis en question. Mais il apparait que ce processus n’a pas encore donné de fruits parce que nous nous sommes toujours posé une question qui ne nous avance pas, plutôt que celle qui nous permettrait de progresser. En l’occurrence nous nous sommes toujours demandé « qui est le fautif » après chaque échec, alors que la question devrait plutôt être « qu’est-ce qui n’a pas marché (et donc mérite d’être changé)? ».

Tout le monde s’engage dans la lutte pour le changement politique avec les bonnes intentions. Si nous continuons par poser la question en termes de « qui » est à l’origine de l’échec, c’est que nous cherchons quelqu’un ou des gens à indexer, nous sommes à la recherche de boucs émissaires ; et même si on les identifiait (ce qui n’est jamais certain) on ne dispose d’aucune sanction susceptible d’aider la cause commune. Le « qui » est personnalisé et met les gens sur la défensive, et ce n’est pas sûr qu’une fois indexées ces personnes changeront. Le « qui » est un homme de chair et de sang; s’il est critiqué il se sentira humilié, se défendra et voudrait démontrer qu’il a raison au lieu de chercher à s’améliorer ; le « qui » est plus émotionnel que rationnel.

Par exemple lorsque l’on indexe un responsable politique pour expliquer un échec, il n’est pas le seul à être sur la défensive; les membres de sa famille, de son village, son ethnie, de son parti, les fidèles de son lieu de culte ou les membres de sa confession religieuse, etc., tout ce beau monde se met en position défensive. Même si l’accusation est fondée (par exemple en cas de manœuvres démagogiques), tous ceux qui suivent ou sont dans l’orbite de ce responsable politique se mettront sur la défensive, car ne pas le faire reviendrait pour eux à reconnaître qu’ils ont été trompés, et autant que je sache, les Togolais n’aiment pas reconnaître qu’ils ont été trompés. De plus, tenant compte des machinations qui abondent dans la sphère politique, en indexant une personne comme le responsable exclusif de la situation, le doigt accusateur n’échappe pas pour autant à ses propres responsabilités.

Par contre, si nous nous demandons la faute « à quoi » on dépersonnalise le débat et on se dirige vers l’identification des faiblesses collectives, plus structurelles, que nous pouvons améliorer afin d’arriver à bon port. Le « quoi » c’est une approche de solution objective; il est impersonnel et s’il est l’objet de critiques il pourrait être amélioré par ses initiateurs sans que ces derniers aient l’impression d’être humiliés. Au lieu de « celui qui » nous conduira/ ou « ceux qui » nous conduiront vers le salut, cherchons plutôt « ce qui » nous y conduira. Une fois que l’on sait ce qui est susceptible de marcher, on trouvera assez facilement celui ou ceux qui feront que ça marche. Pendant le long « règne » ou plutôt la suprématie de Fo Gil sur l’opposition, la justification de son leadership dans la lutte pour le changement politique était personnalisée (logique de « qui ») et non substantielle (logique du « quoi »); il était vu comme la solution à cause de « qui il est », plutôt que « ce qu’il » offre en dehors de quelques promesses manifestement revanchardes.

Le diagnostic que je pose sur l’opposition togolaise est que l’introspection collective existe en son sein, mais cette dernière est trop focalisée sur le « Qui » et pas assez sur le « Quoi ». La focalisation sur le « qui » explique en grande partie nos débats (trop) passionnés, notre tendance à recourir à la diabolisation, aux attaques personnelles et aux bouc-émissaires à chaque fois que l’échec frappe à notre porte. Par contre, un accent sur le « quoi » est susceptible de nous libérer de ces petites haines personnelles, ces fissures par lesquelles l’eau rentre dans le bateau de la lutte pour le changement politique.

A. Ben Yaya

New York, 24 janvier 2021